Pour venir à Faucon en cette fin de siècle, c'est facile, on prend sa voiture et hop en quelques heures si on est loin ou quelques minutes si on est dans les environs on est sur la place de la Mairie ou devant l'église. Mais il en fut tout autrement dans les temps anciens. Jusqu'au milieu du XIXeme siècle, une seule possibilité pour se déplacer ici: emprunter un chemin muletier avec ses jambes ou une bête de somme; pas de charrette, ni autre moyen. Presque pendant 6 mois par an les cols étant bloqués par la neige, la vallée se trouvait isolée. L'étroitesse et la profondeur des défilés de la vallée rendait difficile le débouché par la rivière. François Arnaud, dans une "Notice historique sur les communications en Ubaye" note :"Pour entrer dans la vallée de Barcelonnette, il faut remonter, depuis le Durance, une gorge longue de 28 kilomètres, creusée par l'Ubaye, impraticable avant l'établissement de la RN 100, décrétée en 1854 et terminée en 1883, qui permet en 3 heures d'atteindre la ligne ferrée à Prunières; il n'y avait jusqu'alors , le long de cette gorge, qu'un affreux sentier passant aux terribles tourniquets du Pas de la Tour, parcouru pendant la belle saison par 5 à 6 muletiers. Avec 2 bêtes chacun, ils suffisaient à approvisionner la vallée de quelques outres de vin, d'un peu d'huile d'olive, de quelques barres de fer et de quelques ballots de marchandises. Il n'y avait pas 3 boutiques et 2 cafés à Barcelonnette(...).
"La première charrette, une modeste carriole pouvant porter au plus 1000 kg a été importée d'Italie en 1839, démontée et portée à dos de mulet , par Léautaud Antoine dit Terrailles, et la première voiture, bien étroite et à 2 roues seulement a été importée de Digne par M. Cotte, sous préfet, en 1841; elle a été longtemps la seule."
Alors qu'à cette époque on assiste un peu partout a un grand développement des voies de communication, les Alpes de Haute Provence (autrefois Basses Alpes) restent à l'écart: 1/ le département n'est pas riche et le relief du sol n'est pas facile à maîtriser. 2/ L'armée ne veut pas d'une belle route traversant la vallée qui faciliterait une armée d'invasion.
Le conseil général demande le classement en route royale de l'axe Digne à la frontière par Barcelonnette car l'entretien du mauvais chemin existant est trop onéreux, de plus difficilement praticable l'été avec des mulets et impossible l'hiver à cause de la neige.
Mais le classement en route royale ne sera possible qu'après la construction du fort de Tournoux qui pourra défendre le passage dans la vallée. Le conseil général demande au ministre de la guerre de démarrer les travaux au plus vite. Les travaux débutent en 1842 et se termineront en 1865.
Le génie militaire change d'avis; au départ opposé à cette route, il demande maintenant d'activer les travaux!! Il faut une bonne route pour approvisionner le fort!! La liaison Digne-Barcelonnette est achevée en 1848, le classement est promulgué le 14 juin 1854:"Route impériale n°100 de Montpellier à Coni par Digne" En 1847 le conseil général avec celui des Hautes Alpes demande qu'une nouvelle route soit établie entre Gap et Tournoux par Barcelonnette, pour relier le fort de Tournoux à ceux d'Embrun, Briançon, Montdauphin et Gap. L'actuel chemin étant trop mauvais.
Le Pas de la Tour sera relié au village d'Ubaye en 1882 et jusqu'à la gare de Prunières en juillet 1883. Vers l'amont, La Condamine sera atteint en 1860, la frontière de la Madeleine (Larche) en 1870. En direction d'Allos la route arrive à Uvernet en 1869 et au col en 1892. L'armée aide beaucoup à ce développement et ouvre le col de Vars en 1891 (classé en voirie nationale en 1912). L'établissement de ces nouvelles routes va faciliter et développer les communications, créer des services réguliers de transport pour les voyageurs, le courrier, les marchandises.
Les véhicules sont tirés par des attelages de 3 ou 4 chevaux changés tous les 20 kilomètres environ par des attelages frais; la moyenne est de 10 kilomètres à l'heure, moins dans les montées où l'on ajoute parfois un cheval de renfort. Souvent les voyageurs font une partie de la montée à pied, quand ils n'ont pas de surcroit à pousser la voiture!.
Ils sont 6 à 8 personnes à l'intérieur et 2 ou3 sur l'impériale plus le conducteur et le postillon. Il faut 12 heures pour aller à Digne; le prix du billet est de 14 francs en 1893.
Le tourisme va se développer; la section du Club Alpin de Barcelonnette est créée en 1875. Son président François Arnaud va tout faire pour attirer en Ubaye les amateurs d'excursions en montagne. Le 6 décembre 1897 création de la société des messageries de Barcelonnette pour les voyageurs et les marchandises entre Barcelonnette et la gare de Prunières. Tous les trains sont desservis (pour 3 francs la place) En juin 1898 premier salon de l'auto à Paris. Les voitures "sans chevaux" vont détroner les attelages à chevaux. Il y a à ce moment là un projet de liaison par voie ferrée Chorges-Barcelonnette. La société des messageries se lance dans l'aventure automobile et teste un omnibus à essence de 22 chevaux. Le parcours de 42 kilomètres est effectué en 2 h 30, la société des messageries prend livraison de 5 omnibus et d'un autocar alpin (pour l'été),le prix du billet passe à 5 francs.
C'est un succès; en 1906, 25200 voyageurs ont été transportés. Le service fonctionne même l'hiver en entourant les roues de chaînes. Les frais de fonctionnement étant élevés, le bénéfice maigre, le 25 octobre 1907 le service est interrompu pour les 6 mois d'hiver et ne sera rétabli qu'à pâques. Une subvention est bien demandée pour continuer le service hivernal, mais sera refusée.
A la suite d'un accord avec la compagnie P.L.M. le 1er septembre 1908 un service rapide pour les colis est lancé. Fin 1911 la société des messageries met en service un premier autobus moderne Berliet de 14 places (sans essuie-glaces! mais avec le chauffage!!) Entre 1912 et 1914 la société des messageries sera vendue, revendue, les véhicules réquisitionnés par l'armée. A ce moment là tous les services dans la vallée ne sont pas encore motorisés, beaucoup de voituriers utilisent toujours les chevaux.
En juin 1910 le Touring Club ouvre la "route des Alpes" reliant le lac Léman à Nice. En 1911 création par le P.L.M. d'un service d'autocars touristiques qui relie Evian à Nice en 4 jours avec étape à Barcelonnette. Les cols pouvant être franchis beaucoup d'automobilistes viennent dans la vallée, c'est le début du tourisme en voiture particulière. La guerre va freiner cet essor, qui reprendra ensuite avec l'amélioration des routes et le développement des transports publics et privés. Jusqu'en 1939 la multiplication des possibilités de transports favorisent les déplacements dans la vallée. Après le coup d'arrêt de la guerre, il faudra attendre que l'essence soit de nouveau en vente libre le 31 mars 1949 pour que reprennent l'essor des déplacements en Ubaye pour le commerce et le tourisme.
...et aussi les premiers accidents de la route: Le 9 novembre 1874 la voiture du courrier de Digne, partie à 5 heures du matin de Barcelonnette se renverse aux environs des Thuiles: "La demoiselle Manuel de Faucon, allant en Amérique est légèrement blessée. Elle a pu continuer sa route; quand au sieur Fabre, professeur au collège de Barcelonnette, qui a eu des égratignures au visage et des contusions légères au corps, il est retourné à pied ne voulant pas continuer sa route avec un conducteur aussi maladroit!!"